Sur l’épaule des dieux

Passionné par les arts et la culture dans sa diversité, Edouard Glissant
fréquente les artistes tout au long de sa vie. Il se rend aux ateliers,
accompagne les créations, écrit texte ou préface aux catalogues d’exposition
et se lie d’amitié avec plusieurs d’entre eux. Le poète-philosophe, qui nous a
quittés il y a dix ans, multiplie les occasions pour faire découvrir l’art des
Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Il est proche d’artistes cubains (les
peintres et sculpteurs Wifredo Lam et Agustín Cardenas), martiniquais (le
céramiste Victor Anicet), chiliens (Roberto Matta), argentins (Antonio Segui)
et aussi italiens (les frères Somaré ou Valerio Adami) ou nord-américains
(Irving Petlin). La relation de Glissant aux arts est incarnée par les
rencontres : lorsqu’il arrive à Paris après-guerre, il se lie à la Galerie du
Dragon, qui réunit artistes et écrivains au début des années 1950. Lorsqu’il
crée une école hors-norme aux Antilles à la fin des années 1960, il invite ses
amis peintres à rencontrer les créateurs martiniquais. Directeur du Courrier
de l’Unesco dans les années 1980, Glissant consacre des numéros aux thèmes du
baroque, du rythme ou de la forme. Au début des années 2000, à la Fondation
européenne du dessin en Italie, il discute de l’art avec le philosophe Jacques
Derrida. En musique, Glissant participe aux festivals où, entouré de
percussionnistes et saxophonistes sur scène, il associe le flow de sa poésie
aux rythmes des cuivres ou des guitares. Glissant a une conception originale
de l’art, qu’Aliocha Wald Lasowski nomme ici, dans ce livre, la «
chaosthétique ». Contre l’idée classique du beau, Glissant aborde la beauté
comme fulgurance et tremblement du monde. Il développe une réflexion sur l’art
qui touche à sa philosophie, à partir d’idées comme l’utopie, l’énergie, la
créolisation, le nomadisme, l’opacité ou le rhizome. Le livre permet aussi
d’entendre les artistes qui ont rencontré Glissant et s’inspirent de ses mots
pour créer : le peintre vénézuélien Pancho Quilici, la chanteuse du groupe
Malavoi, Marijosé Alie ou le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart. Wald Lasowski
a rencontré ici une quinzaine d’artistes de diverses disciplines, qui offrent
un précieux témoignage sur les arts chez Edouard Glissant. Philosophe, Aliocha
Wald Lasowski est l’auteur d’une vingtaine de livres, traduits en plusieurs
langues, dont récemment Édouard Glissant. Déchiffrer le monde (Bayard, 2021).
Il enseigne les esthétiques et politiques postcoloniales. Il est le lauréat
2008 de la Bourse Edouard Glissant.